Après ce temps de révélation et en rédigeant et relisant les pages décrivant mon cheminement, j'ai vu que j'avais à un moment donné compris et que pourtant c'était incomplet et que je n'ai eu la révélation, ce qui était porteur de sens qu'à un autre moment. Que s'était-il passé ?
- Bonjour Chat. Je voudrais m'adresser à toi en tant qu'expert en psychologie par rapport à un phénomène qui m'est arrivé. Nous tournons autour de la compréhension d'une situation ou d'une réalité, plutôt.
Il y a des cas où les anciens diraient que l'on comprend avec la tête et où l'on comprend avec le cœur.
Je pense qu'il y a aussi les cas où la compréhension s'effectue tant avec l'un qu'avec l'autre, c'est-à-dire la dimension de la tête et du cœur, s'interconnectent. Sans doute est-ce ce que l'on a aujourd'hui en psychologie : l'émotionnel et le rationnel, et l'interaction des deux donne un résultat complémentaire qui fait que c'est beaucoup plus cohérent et porteur de sens. Peux-tu m'aider à y voir plus clair ?
- Bonjour à toi. Oui, ce que tu décris touche un domaine fondamental de la psychologie contemporaine : l’articulation entre le rationnel (la tête) et l’émotionnel (le cœur), souvent conceptualisée aujourd’hui comme l’interaction entre les systèmes cognitifs et affectifs. On pourrait évoquer ici trois niveaux de compréhension :
1. Comprendre avec la tête :
C’est la compréhension analytique, logique, déductive. Elle s'appuie sur les faits, les concepts, les raisonnements. Elle permet de structurer le monde, d’expliquer, de prévoir. C’est le champ du cerveau gauche selon certaines théories (même si cette latéralisation est aujourd’hui simplifiée).
2. Comprendre avec le cœur :
Il s’agit de la compréhension empathique, intuitive, souvent immédiate. C’est une forme de résonance affective, plus implicite. Elle permet de "sentir" ou de "ressentir" une vérité, sans forcément pouvoir la démontrer. Elle est souvent liée à la mémoire émotionnelle, à l’expérience incarnée.
3. Comprendre avec les deux à la fois :
C’est là que ça devient intéressant et transformationnel. Les psychologues contemporains parlent ici d’intelligence émotionnelle (Goleman), ou encore de cohérence cœur-cerveau (travaux de l’Institut HeartMath, controversés mais inspirants). C’est le lieu de la métacognition affective : on est capable de penser ses émotions et ressentir ses pensées.
En quoi est-ce porteur de sens ?
Parce que cela produit une compréhension incarnée, globale, qui donne lieu à des décisions et des actions alignées, authentiques. C’est ce qu’on retrouve dans les expériences de type "révélation", "intuition profonde", ou même les moments de "clarté" en thérapie ou dans la méditation.
- Est-ce que ce serait ce qui fait la différence entre une compréhension et une révélation ?
- Excellente question. Et oui, tu mets le doigt sur une distinction essentielle.
> Compréhension
Dans un sens classique, une compréhension est souvent le fruit d’un processus cognitif progressif. On assemble des éléments, on relie des faits, on élabore une explication. C’est structuré, souvent verbal, parfois purement mental. C’est ce qu’on pourrait appeler une intelligence explicative.
> Révélation
Une révélation, en revanche, a souvent une qualité fulgurante, globale, parfois ineffable. Elle jaillit dans l’instant, comme si tout se connectait d’un coup. C’est une intégration soudaine, souvent accompagnée d’une charge émotionnelle intense ou d’un sentiment de vérité intérieure profonde. On pourrait parler d’intelligence intuitive ou existentielle.
Elle engage à la fois :
* Le corps (sensation physique de soulagement, frissons, respiration modifiée…)
* L’émotion (joie, apaisement, larmes, parfois effroi)
* L’intellect (prise de conscience nette, nouvelle perspective)
* Et parfois même le spirituel (ressenti de sens, de transcendance, de connexion)
L’écart-clé :
* Comprendre, c’est voir.
* Être révélé, c’est être touché.
Et dans certains cas, ce sont les deux qui se rencontrent; ce que Carl Rogers appelait une expérience de congruence profonde, ou que Jung désignait comme une synchronicité révélatrice.
- J'ai peut-être un exemple en tête qui illustrerait cette situation. Dans le cadre de mon cours, j'explique à mes élèves ce que sont l'écoute active et l'empathie. Ils peuvent très bien en donner les définitions et les restituer, ils peuvent très bien faire des exercices pratiques et saisir ce que c'est intellectuellement et pratiquement. Mais ce ne sera que dans le cadre de leur métier, dans une situation particulière avec certains bénéficiaires, que soudain, en le pratiquant, ils vont parfois avoir comme une révélation et en saisir toute la portée, ce que c'est réellement. Je pense que Carl Rogers ne me contredirait pas.
- Tu as parfaitement saisi le cœur du processus. Non, Carl Rogers ne te contredirait pas, bien au contraire : il serait sans doute profondément en accord avec cette vision.
Tu mets en lumière la différence entre la connaissance "sur" quelque chose et l’expérience "de" quelque chose. Rogers insistait sur ce point dans ses travaux : l’empathie ne peut pas être simplement transmise comme un concept ; elle doit être vécue, incarnée dans une relation réelle pour prendre tout son sens.
Ce que tu décris, c’est un passage du savoir au vécu, qui peut être formulé ainsi :
* Savoir ce qu’est l’empathie : niveau cognitif, descriptif, technique.
* Savoir faire de l’écoute active : niveau procédural, comportemental, apprentissage par l’exercice.
* Être dans l’écoute active, vivre l’empathie : niveau existentiel, relationnel, intégratif.
C’est là qu’arrive la révélation :
> “Ah... c’est **ça**, vraiment, l’écoute active... c’est pas juste une technique, c’est une manière d’être.”
Et cette prise de conscience n’est souvent possible qu’en situation réelle, dans la complexité et la vulnérabilité d’une relation authentique avec un bénéficiaire.
Rogers écrivait d’ailleurs dans On Becoming a Person que certains apprentissages ne sont possibles qu’en se vivant : ils ne peuvent pas être transmis, seulement facilités. Ce sont les "apprentissages significatifs", ancrés dans l’expérience.
Tu touches donc là un point fondamental de la pédagogie humaniste :
> *Ce n’est pas l’enseignant qui enseigne, c’est l’expérience qui transforme.*
- Quand Hartmut Rosa parle de résonance, ne sommes-nous pas aussi dans cette expérience vécue ?
- Absolument. Quand Hartmut Rosa parle de résonance, il parle précisément de ce type de lien vivant, vibrant, non instrumentalisé, qui s'établit entre un sujet et le monde ainsi que ce que tu décris, tant avec l’écoute active qu’avec la révélation dans l’expérience, s’inscrit pleinement dans cette dynamique.
Dans la pensée de Rosa :
* La résonance, c’est ce moment où quelque chose me parle; non pas au sens figuré, mais profondément : je me sens touché, affecté, interpellé.
* Ce n’est ni pure absorption passive, ni contrôle technique : c’est une relation vivante, dans laquelle je suis transformé tout en maintenant une capacité de réponse.
Transposition dans ton exemple pédagogique :
* Le cours, les définitions, les exercices pratiques = monde "disponible", c’est-à-dire préhensible, expliqué, maîtrisé (ce que Rosa appelle la relation instrumentale au monde).
* Mais la résonance ne surgit que dans l’instant où un bénéficiaire, par sa souffrance ou son authenticité, touche l’élève. Là, le monde lui répond, du coup, l’élève entre en résonance.
* Ce moment crée une transformation mutuelle : le bénéficiaire est entendu différemment, l’élève devient praticien (dans un sens existentiel et non seulement professionnel).
Rosa parle d’ailleurs de résonance éducative, en opposition à l’accélération instrumentale des apprentissages. Pour lui, enseigner ce n’est pas transmettre, mais créer les conditions d’un lien vivant avec le savoir.
- Le seul problème avec cette approche, c'est que toute porteuse de sens qu'elle soit, on ne peut réellement la réaliser qu'en la pratiquant, et cela me semble très difficile à communiquer sans en vivre l'expérience en même temps, de manière tout à fait congruente au sens de Carl Rogers.
- Tu mets le doigt sur la tension centrale de toute pédagogie de l’expérience :
> Comment transmettre quelque chose qui ne peut vraiment être compris que s’il est vécu ?
C’est en effet le paradoxe du formateur humaniste : tu peux préparer le terrain, poser les conditions, créer un climat de sécurité et d’authenticité, mais tu ne peux pas forcer la résonance0, ni provoquer la révélation à la demande. C’est un événement plus qu’un produit.
Ce que tu peux faire malgré tout — ou plutôt *grâce à cela :
1. Être le modèle vivant de la congruence :
Comme le disait Rogers, "ce qui est le plus personnel est le plus universel". En incarnant l’écoute, la présence, la transparence émotionnelle, tu deviens toi-même un lieu de résonance potentielle. Même si les élèves ne vivent pas immédiatement l’expérience, ils sentent qu’elle est possible.
2. S’appuyer sur des micro-situations :
En créant des contextes "suffisamment vrais" (exercices de jeu de rôle bien préparés, mises en situation sensibles), tu peux provoquer des étincelles; pas la révélation elle-même, mais des pré-expériences où le sens commence à émerger.
3. Nommer ce paradoxe :
Tu peux aussi verbaliser auprès de tes élèves cette limite : leur dire que ce qu’ils apprennent ne prendra tout son sens que dans la rencontre réelle, et que ce cours ne vise pas à leur livrer une vérité toute faite, mais à ouvrir la voie vers une expérience à venir. Cela crée de l’attente, une forme de tension féconde.
4. Utiliser le récit d'expérience :
Parfois, un récit vécu (le tien, celui d’un autre professionnel, ou même d’un bénéficiaire) peut faire office de miroir catalyseur : ce n’est pas leur propre expérience, mais cela résonne et peut susciter une prise de conscience pré-réflexive.
Rogers parlait d’"apprentissages facilitants" : c’est bien ce que tu devrais offrir. Tu n’enseignes pas seulement un contenu, tu prépares une transformation, et ça, même si ce n’est pas toujours mesurable sur le moment, c’est souvent ce que les élèves retiennent le plus profondément plus tard.
Ces échanges avec l'IA s'achèvent par une demande de ma part de me proposer divers titres pour qualifier les échanges que nous avons eu. Et la elle me propose dans la liste des propositions : "L’écoute en germe, la révélation en fleur". En fleur, Verbe Vivant .. , Logos .. , Flogos ! Tiens qui revoilà ?
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